Paroles de Joël

Polo
Joël
(P.Lamy)
Ils sont là, sur un banc, trois ou quatre, dressés
Comme des Artabans inabordables, austères
Oubliés des vivants, ils ne font qu'avaler
Des litres de gros rouge ou des boîtes de bière
Des souliers ne sauraient plus contenir leurs membres
Ils ont des doigts d'autruche et des pieds d'éléphants
La tête en feu, le corps et la peau du gingembre
Et l'odeur de leurs jambes éloigne les passants
Une heure est consacrée à rouler un mégot
Qu'il vont laisser s'éteindre et rallumer sans cesse
Une journée entière on dissèque un ragot
Mille fois raconté, comme on entend la messe
Ils discutent à grand voix, ils s'engueulent à grands gestes
Sous les feux du néant, ils jouent la tragédie
Ils crachent des cailloux en secouant leurs vestes
Sur le quai du métro le théâtre est gratuit
Personne ne lit plus son journal ou son livre
Les gens sont résignés et regardent au loin
En attendant qu'enfin un wagon les délivre
Ils se font insulter en prenant l'air de rien
Rien ne sert de partir, il est là, dans la rame
Qui s'appelle Joël, qui cherche du boulot
S'excuse d'exister avec ses trous à l'âme
Il a "tout essayé", nous dira-il bientôt
Pendant qu'il refaisait son éternelle requête
Flottant sur sa figure on pouvait voir l'enfant
Les premiers matériaux qui construisaient sa tête
L'ange qui revenait au visage d'antan
De quels verts paradis ou de quels noirs tumultes
Est-il sorti ? Et quel soleil l'a condamné
À ces enfers terrestres et à cet age adulte
À ce chemin de croix toujours recommencé
Connût-il un jardin où courait l'antilope
Etait-il enfant Roi entouré de parfums
Ou bien enfant des coups et des brûlures de clopes
Qui s'endort à l'école dans le froid du matin
Il a peut-être été blond, peut-être allergique
Il a écrit son nom en marge d'un cahier
Il a peut-être cru qu'il irait en Afrique
Et qu'il serait ami d'un lion apprivoisé
À côté du crédit Lyonnais, il y a deux marches
La première est sa chaise et l'autre son dossier
Sa table. Ô miracle, une radio y marche
Qui envoie du disco ou de la variété
Il tète la huit-six ou bien la Slivovitch
Il pense, il parle à Dieu, dont il nourrit les chiens
Il ouvre un restaurant lorsqu'il mange un sandwich
Où il a pour client tous les pigeons du coin
Et puis, toujours à la même heure, il met les voiles
Pour rejoindre sans bruit quelques ombres alentour
Et là, vautré sous ciel, locataire des étoiles
Il se pisse dessus en hurlant à l'amour
InterprètePolo
LabelIDL
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