Paroles de Qu'Avez-Vous A Déclarer

Les Frères Jacques
Le p’tit Paul dans sa famille
Vécut longtemps sans soucis.
Sa mère était si gentille
Son père aussi, Dieu merci.
Heureux comme un coq en pâte
Il atteignit l’âge ingrat
C’est l’âge, hélas, où ça s’gâte :
L’âge du baccalauréat.
Ce jour là des messieurs noirs
L’entourent, effrayants à voir.
On lui dit d’un air sévère :
« qu’avez-vous à déclarer,
Déballez-nous votre affaire
Et veuillez nous éclairer,
Déclarez-nous sans ambages,
Pour ne pas rater l’bachot
Ce qu’il y a dans vot’bagage
Et servez-nous ça tout chaud.
Quel est le nom des neuf muses ?
Parlez-nous d’l’hypoténuse,
Du carré, là, pas d’excuses,
Ce sont des sujets tout cuits…
Quelle fut la triple alliance
Comparez Plaute et Térence
Définissez l’existence
Puis l’essence et c’qui s’en suit.
Montrez les progrès d’la guerre
En allant du lance-pierre
A l’énergie nucléaire.
Bon ! ça va, voyons Pascal
Que savez-vous de son vide ?
D’où nous vient l’huil’ d’arachide,
Dessinez un tromboïde
Du genre concavoïdal.
Parlez-nous de César Jules,
De l’emploi du point-virgule
Quel est l’rôle du pédoncule,
Déclarez-nous rapid’ment
Pourquoi la brique réfractaire
Du point d’vue alimentaire
C’est mieux que la pomme de terre
Dans le système des Allemands.
Quel fut, entre parenthèse,
Le rôle de la catachrèse
Dans la poésie portugaise.
L’heure coule au sablier,
Vite, c’est votre dernière chance,
Déballez vos connaissances,
Car demain, comm’ nous, je pense,
Vous aurez tout oublié !
En un mot, cartes sur table,
Sans vous laisser égarer,
Sur ces sujets remarquables
Qu’avez-vous à déclarer ? »
Bachelier ! la vie est belle !
Déclara-t-il, puis un jour
S’étant épris d’une pucelle
Il déclara son amour.
Agréé, le soir des noces,
L’époux, tout à l’avenir,
Fit, afin d’avoir un gosse,
Ce qu’il faut pour l’obtenir.
Hélas ! à peine réveillé
Il trouva dans son courrier
Des formulaires sans tendresse :
« qu’avez-vous à déclarer ?
Vos nom, prénoms, âge, adresse :
Décoré ? pas décoré ?
Enfants parents, domestiques,
Piano, phono, confession,
Êtes-vous schizophrénique ?
ça paie moins d’contributions !
Déclarez en confiance
Tous vos moyens d’existence.
Détaillez vos assurances,
Honoraires, profits et gains,
La fortune de vot’grand-père
Vos affair’s immobiliaires.
Avez-vous des vaches laitières ?
Ou un oncle américain ?
Déclarez vos hypothèques,
Portefeuille et compte de chèques,
Toute la fortune intrinsèque,
Chien, perroquet, canassons !
Moto, vélo, trottinette,
Les autos, même la poussette !
Les vêtements, fixe-chaussettes,
Cache-sexes et caleçons.
Déclarez vos tares physiques
Vos bibelots artistiques,
Vos opinions politiques.
Déclarez sans omission
Pour l’Etat qui vous conseille,
La police qui vous surveille,
L’administration qui veille,
Votre profonde admiration.
Tout en bas c’est très facile,
Ayant mis les chiffres en pile,
Au total ajoutez mille
Puis vingt-deux, puis retirez
La moitié des jours d’service,
Multipliez par cent dix :
Le montant d’vot’ bénéfice
C’est ce total au carré !
Signez, mettez « je le jure »,
Vous s’rez alors honoré
Dans six mois d’une p’tite facture,
Qu’avez-vous à déclarer ? »
Les bureaux tentaculaires
Accablèrent le petit Paul
Comm’nous de tant d’formulaires
Qu’un jour il en eut ras l’bol
Alors il fit ses bagages,
Plaqua tout exaspéré,
Partit pour un long voyage
Non sans avoir déclaré :
« adieu, Patrie tracassière ! »
Mais hélas à la frontière
Un douanier lui dit, perfide :
« qu’avez-vous à déclarer ? »
Le p’tit Paul, livide
Le zieuta, l’air égaré.
Le fonctionnaire à moustache
Lui dit : » ouvrez-moi ce barda ! »
Paul s’écria : « Mort aux vaches ! »
Et d’un coup le trucida.
Une histoire lamentable
Qui fit un pétard du diable,
Et le juge dit au coupable :
« Qu’avez-vous à déclarer ? »
Il se tut, mais aux assises
L’président à barbe grise
Lui piose cette question précise :
« Qu’avez-vous à déclarer ? »
Une nuée de journalistes,
Les avocats qui l’assistent
C’est affreux, tout l’monde insiste :
« Qu’avez-vous à déclarer ? »
Il est rouge comme une tomate
Il sent que sa tête éclate
Sous ce cri des bureaucrates :
« Qu’avez-vous à déclarer ? »
Alors, sautant à la barre,
Il leur lance : « je déclare,
Je déclare que j’en ai marre,
Et qu’à pied, et à cheval
Et en voiture, sans conv’nances
J’vous emmerde ! » « Taisez-vous, silence,
C’est la Justice qu’on offense !
La Mort pour cet animal ! »
Il mourut, c’est un passage
Et son âme après l’orage
Trouva les verts pâturages
Et Saint Pierre qui lui dit :
« venez, jeune âme affranchie,
Finie la bureaucratie,
Vous verrezn c’est la belle vie
Ici dans le Paradis :
Sans rond’s d’cuir, sans formulaires
Une seule question, c’est juré,
Mais elle est réglementaire :
« Qu’avez-vous à déclarer ? »
InterprèteLes Frères Jacques
LabelUMI
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